N.-D. DU ROSAIRE
ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DE LA PORTE DE VANVES
169, 174, 176, 178, 179, 182, rue de Vanves ; 4, Cité Raynaud
209, 211, rue Vercingétorix ; 6, rue Paturle.
Extrait de la REVUE PHILANTHROPIQUE
PARIS
IMPRIMERIE M.-R. LEROY
185, RUE DE VANVES, 185
1897
LES OEUVRES DE NOTRE-DAME DU ROSAIRE (1)
ASSOCIATIONS OUVRIÈRES
DE LA
PORTE DE VANVES
L'interminable rue de Vanves, étroite d'abord, resserrée comme une rue du Marais, s'élargit peu à peu, s'aère à mesure que l'on pénètre plus avant dans le faubourg de Plaisance. Les maisons baissent. Elles n'ont plus que trois ou deux étages. Bientôt, lorsque l'on a dépassé le cabaret célèbre du Moulin de la Vierge, elles s'espacent, reliées par de vagues murailles, laissant derrière elles des terrains nus que domine la masse imposante de l'hôpital Saint-Joseph.
Il n'est pas nécessaire de connaître ce quartier depuis longtemps, pour se souvenir de la cité Girodet. Elle étalait, entre la voie du chemin de fer et la rue, ses huttes informes, faites de démolitions, ayant plutôt l'air de terriers que d'habitations humaines, et dans lesquelles grouillait une population en guenilles, victime de la plus atroce misère. En bordure, un bouchon orné d'une tonnelle, au treillage badigeonné de vert, enguirlandé de vigne vierge, jetait sa note gaie sur ce tableau noir.
C'est là que s'est établie, il y a quelques années à peine, une société de prêtres, relevant de l'Ordinaire, occupant des postes désignés par lui, mais augmentant par la communauté leurs ressources et leur influence, et poursuivant un but commun : «l'amélioration religieuse et sociale de la classe ouvrière". C'est la Société des prêtres des faubourgs. Quelques enfants, réunis à grand'peine, et conduits aux fortifications où on les catéchisait, tels furent les débuts. Ils étaient plus que modestes. Mais c'est le sort commun de toutes les œuvres destinées à grandir. Bientôt, on recruta des appuis, un peu de tous les côtés. On constitua un comité de patronage. Des terrains furent achetés, des bâtiments s'élevèrent, dont le manque d'unité dénote encore la lente construction. On édifia, sur un terrain contigu à la cité Girodet, une chapelle dédiée à Notre-Dame du Rosaire.
Aujourd'hui, cette chapelle est devenue le centre d'un groupe d'œuvres, ingénieuses, vivantes, où le philanthrope, en quête d'enseignements utiles, peut glaner de nombreux épis.
«A côté des œuvres religieuses, premier devoir des prêtres qui l'ont fondée, l'œuvre de Notre-Dame du Rosaire réunit un faisceau d'institutions charitables et sociales qui viennent en aide â tous ceux qui souffrent, sans distinction de religion, et qui permettent à tous les hommes de bien, quelles que soient leurs croyances, de contribuer à une double action de bienfaisance et de régénération ». Ces lignes, placées par les directeurs en tête d'une notice où sont énumérées leurs œuvres, résument assez exactement l'esprit qui les anime. Certes, le côté purement religieux n'a pas été négligé. Catéchisme, Sainte Famille, Baptêmes, Mariages, Confréries, Retraites, Mères chrétiennes ; il suffit d'indiquer ces œuvres, pour comprendre leur importance. Mais on s'est souvenu aussi de la parole d'Ireland : « Jusqu'au moment où la condition matérielle des ouvriers sera améliorée, il est futile de leur parler de vie surnaturelle et de devoirs. Ce dont ceux qui souffrent ont conscience, c'est de leurs griefs ; et ils considéreront comme des amis ceux qui 'leur viendront en aide... Ne prêchez pas trop souvent la vertu, à moins que le milieu clans lequel ces pauvres hommes vivent soit tel que la vertu soit facile. » Aussi rencontrons-nous, à côté des œuvres religieuses, les œuvres charitables. Sous des noms divers, elles s'occupent d'assister les pauvres, notamment de leur fournir la nourriture, le vêtement, les soins en cas de maladie. Les ressources nécessaires, pour subvenir à ces dépenses, ne sont pas très considérables. Elles se composent surtout des offrandes recueillies au tronc de Saint-Antoine, et des oboles versées, clans leurs réunions hebdomadaires, par les membres des diverses sociétés : les Amis des pauvres, les Conférences de Saint-Vincent-de-Paul, les Dames patronnesses.
. Ces secours, analogues à ceux que les chrétiens de la primitive Église offraient spontanément dans chacune de leurs assemblées, et que Tertullien appelait les dépôts de la piété, accomplissent des miracles.
Durant le dernier hiver, la Soupe populaire a pu, grâce il est vrai à des souscriptions publiques, distribuer de 500 à 800 soupes, chaque jour. L'organisation est double. Les familles malheureuses du quartier ont la faculté d'emporter la soupe à domicile. Cela permet â une foule de pauvres gens de faire l'économie du repas du soir. Cette soupe, préparée en grande quantité, sur un seul fourneau, revient à la moitié, au quart peut-être du prix qu'on devrait dépenser dans chaque ménage. Un enfant vient avec sa carte, qui lui donne droit à deux, trois, quatre ou cinq litres, suivant le nombre des membres de la famille. Les autres, les inconnus, foule bariolée, composée de provinciaux dévoyés, de repris de justice ou des victimes nombreuses du chômage, de l'âge ou de la maladie, — spécimens pitoyables de toutes les douleurs, —s'assoient sur les mêmes bancs, autour des mêmes tables. Devant ces visages hâves, qu'éclaire parfois un fugitif sourire, on devine l'angoisse, la torture horrible de la faim. Le cœur se serre au spectacle de leur activité fébrile devant la gamelle chaude.
Sur une échelle moins vaste, la Fourmi et le Chiffon accomplissent leur utile besogne. Ces deux œuvres se recrutent parmi les dames du monde. La première consiste à demander aux adhérentes deux objets de lainage ou de vêtement fabriqués par elles, chaque année. La seconde recommande à ses zélatrices de recueillir « les vieilles étoffes, linge, effets, rideaux, tapis, couvertures », en un mot, tous les chiffons pouvant être vendus au poids ou transformés en objets pour les pauvres. —Et— notez avec quel art on sait utiliser tous les concours — « les petites filles sont invitées à s'occuper plus spécialement de la récolte des bouts d'étoffes, dentelles, rubans, etc. Celles qui consentiraient à être zélatrices seront chargées d'organiser et de tenir le Comptoir des vêtements de poupée. »
Il faut ajouter qu'une vingtaine de dames patronnesses se réunissent au Vestiaire une fois par semaine, pour réparer les vieux effets.
Nous avons indiqué que les malades étaient l'objet d'attentions spéciales. L'assistance médicale gratuite, telle qu'elle a. été organisée par la bienfaisante loi du 15 juillet '1893, fonctionnait à Plaisance avant d'avoir été inscrite dans notre législation. L'esprit est le même. Ce sont les mêmes éléments: l'assistance à domicile, toutes les fois qu'il est possible, et le dispensaire où les malades trouveront des remèdes et des conseils.
Les soins à domicile sont assurés par des sœurs garde-malades. Quant au dispensaire, il est dirigé par des darnes de charité, auxquelles le Dr. Récamier prête son savant concours. L'installation est des plus simples. Entre les rues DurandClaye et Paturle, une maisonnette séparée de la rue par un jardinet. Mais on éprouve une telle impression de fraîcheur. et de repos, qu'au cours de notre visite, l'ami qui m'accompagnait dit en souriant : « J'ai presque envie d'être malade, pour me faire soigner là. »
Malgré le voisinage immédiat de l'hôpital Saint-Joseph, les salles de pansement et de consultation reçoivent chaque jour une large clientèle. C'est un exemple à méditer. Pour peu que l'on ait fréquenté la classe ouvrière, on a constaté le sentiment de méfiance, presque de répulsion, que beaucoup de pauvres gens éprouvent à l'égard des hôpitaux. Le dispensaire se présente à eux sous des apparences moins sévères. L'attente y est moins longue. Le médecin n'étant pas débordé par le nombre des malades peut donner à chacun une attention soutenue. Les soins revêtent une forme moins administrative, plus familiale, plus intime. Ne serait-il pas utile d'entrer dans cette voie, et de multiplier les centres où l'on donne des soins gratuits ?
Il nous reste à signaler, pour clore cette liste des œuvres charitables, le fonctionnement d'un Secrétariat du peuple. Cette œuvre a, à nos yeux, une telle importance, que nous avons l'intention de lui consacrer une étude spéciale. Bornons-nous, pour l'instant, à indiquer son organisation générale. Ouvert deux fois par semaine à tous ceux qui ont besoin des secours d'un avocat, d'un avoué, d'un notaire, ou. simplement d'un ami discret pour une lettre à écrire, il met à la disposition du peuple, des secrétaires dévoués et actifs. Il centralise tous les renseignements. Il entreprend toutes les démarches. Son organisation lui permet d'étendre chaque jour son champ d'action. Tel ouvrier venu pour une consultation juridique apprend, du même coup, l'existence des coopératives, des sociétés de secours mutuels,
(2) etc., etc.
De la sorte, le Secrétariat du peuple sert d'intermédiaire entre les œuvres diverses. Il aide en quelque sorte à leur pénétration réciproque. Par la nature des services rendus, il constitue une œuvre charitable. Mais, grâce à un mécanisme habile, ses secrétaires et ses délégués exercent, au point de vue social, une action considérable. Il nous servira de transition naturelle, pour passer aux œuvres économiques et sociales.
*
A leur base, nous trouvons les Patronages. Ouverts à tous mais particulièrement aux enfants des écoles laïques communales, ils s'appliquent à la formation du caractère, au développement dé l'esprit d'initiative, à l'apprentissage gradué de la liberté.
« Dans nos patronages, tous nos efforts tendent à diriger nos enfants, mais en leur apprenant â penser et à vouloir par eux-mêmes. Nous cherchons à développer leur initiative et à n'étouffer quoi que ce soit des forces vives que Dieu a mises dans chaque âme. Nous cherchons à ce que récompenses et punitions ne soient que des stimulants, jamais le motif déterminant de l'accomplissement d'un devoir. Nous pensons aussi qu'il n'est pas bon que l'enfant soit retiré du contact du monde extérieur, et qu'on écarte toutes les difficultés morales de son chemin. Il faut qu'il apprenne à les surmonter, et, s'il tombe, à se relever. Il ne sera pas toujours auprès de nous, il faut qu'il sache agir sans nous. Il faut qu'il fasse l'expérience de la lutte, quand il nous a encore là pour le soutenir et le relever, en cas de défaite. C'est au, feu que se forment les meilleurs soldats. » Ces paroles empruntées au directeur
(3) des œuvres de Plaisance, indiquent nettement le but poursuivi.
Le patronage apparaît, en somme, comme un complément de l'école. Supposez un enfant suffisamment instruit, apte à remplir un emploi, à exercer un métier. Que va-t-il devenir ? Le croyez-vous suffisamment armé pour les luttes de la vie ? Le voyez-vous, seul, sans appui, triomphant des difficultés qui le heurteront sur sa route ?
Je sais l'objection que l'on adresse aux patronages. On leur reproche de détruire la vie de famille. Il ne faut point méconnaître la force de cet argument. Certes, c'est d'abord aux parents qu'incombe l'éducation des enfants. C'est à eux qu'il appartient de surveiller leur conduite. « Si. la famille ouvrière était organisée comme elle doit l'être
(4) , c'est-à-dire si le père, en allant au travail, était assuré de rapporter un gain suffisant pour permettre à sa femme de s'adonner exclusivement aux soins du ménage et d'élever ses enfants dans de bonnes conditions d'hygiène morale et physique, les patronages n'auraient pas de raison d'être...
Mais chez l'ouvrier pauvre des grandes villes, et plus particulièrement dans les faubourgs de Paris, le foyer familial n'existe pas. »
Le patronage intervient comme palliatif. Il fait risette à l'enfant. Il arrache le « petit frère
(5) (1) » aux dangers de la rue, à l'oisiveté, mauvaise conseillère. A cet autre plus grand déjà, il procure des amis, des distractions honnêtes. Le jeune apprenti trouvera au patronage, outre les délassements multiples, une Caisse d'épargne, recevant dés souscriptions à partir de 10 centimes, une Bibliothèque, des Cours professionnels de musique et de dessin. IL sera acteur (et c'est une de ses meilleures joies) dans des représentations dramatiques. S'il est habile, et s'il a profité de ses loisirs pour réaliser le chef-d'oeuvre, sans lequel les ouvriers d'autrefois ne pouvaient obtenir la maîtrise; il prendra part à une Exposition annuelle, dont les lauréats reçoivent comme récompenses des médailles de bronze, d'aluminium, d'argent ou de vermeil.
Mais il n'est point nécessaire, pour qu'un patronage soit fréquenté, qu'il réunisse de tels avantages. Il n'est point indispensable qu'il y ait abondance de jeux, ou de représentations. Il importe surtout que les enfants s'y sentent chez eux, qu'ils y trouvent des amis... Pour réussir, dans une pareille entreprise, les capitaux sont beaucoup moins utiles que le dévouement et la bonté. Le patronage des garçons de Plaisance compte 620 enfants ; celui des filles 500. 11 y a aussi une école libre de filles dirigée par des maîtresses laïques et comprenant à ce jour 500 élèves. A cette école, est jointe une École ménagère.
Fondée par M. Jean Chandon de Briailles, elle a été inaugurée le 24 janvier dernier. Son fonctionnement est analogue à celui des écoles ménagères de Belgique. Elle ne s'adresse
encore qu'aux grandes de l'école. Dans une vaste salle, sommairement meublée, elles prennent tour à tour, suivant un roulement ingénieux, des leçons pratiques de cuisine, de raccommodage, de lessivage et de repassage. La cuisine est l'objet d'une récompense ou d'une punition immédiates, les plats confectionnés étant consommés sur place. Le mode de préparation, la durée, le prix des ingrédients sont indiqués sur un tableau noir. Beaucoup de petites filles rapportent le menu chez elles, où leur mère en fera l'essai. Avec du talent et de l'économie, on arrive à des résultats surprenants. Nous avons vu un modèle de repas pour 5 personnes, dont le prix de revient atteignait seulement 1 fr. 60. On aperçoit sur les murailles de sages maximes : N'achetez jamais ce qui est inutile, sous prétexte que c'est bon marché; ne dépensez pas votre argent avant de l'avoir gagné ; la femme dirige une bonne maison, si elle a l'esprit d'ordre et d'économie, etc., etc. Mais les-petites ouvrières sont trop occupées, ma foi ! pour avoir le temps de lire. Gravement elles tournent des sauces ou s'initient aux secrets du raccommodage. Ce seront un jour de bonnes ménagères. Elles équilibreront leur budget. Elles proportionneront leurs dépenses à leurs recettes. Elles sauront tenir leur appartement en bon état, et y garder leur mari.
A mesure que l'enfant grandit, il veut de plus en plus user de sa liberté. Il semble que la vie s'ouvre devant lui plus large, et qu'il éprouve comme un besoin violent d'action. Le Cercle, avec sa hiérarchie savamment combinée, répond à ce besoin. L'esprit d'initiative que nous avons noté dans le patronage, se retrouve ici, développé à ce point, que les jeunes ouvriers
(6) ont dressé eux-mêmes leur règlement intérieur. Nous sommes heureux de pouvoir en donner quelques extraits.
RÈGLEMENT INTERIEUR
BUT. — Le petit Cercle de Saint-Joseph-des-Champs a pour but de réunir les 'jeunes apprentis et ouvriers.
L'esprit des membres du Cercle doit être un esprit de famille, de charité et de vraie' solidarité chrétienne. Chacun devra chercher à y développer les associations propres à assurer la prospérité matérielle et l'amélioration morale des sociétaires.
Le Cercle est placé sous le patronage de Saint-Joseph et a pour devise : Dieu, Patrie et Famille.
ADMISSIONS. - Pour faire partie du Cercle il faut :
1° Être âgé de 11 ans au moins, 25 ans au plus, être Français ou naturalisé, à moins d'exception dont le conseil sera juge.
2° Être présenté par deux parrains, membres sociétaires du Cercle. 3° Signer une feuille d'adhésion.
4°. Faire un stage de 3 mois comme membre aspirant.
5°. Tout membre aspirant qui pendant les 3 mois de stage aura fait preuve de l'esprit chrétien qui doit animer les membres du Cercle pourra être nommé membre sociétaire ; il sera reçu officiellement par le Conseil à une réunion spéciale. Une carte de membre sociétaire lui sera délivrée.
ADMINISTRATION
L'administration est confiée à un Conseil.
1° Ce Conseil, choisi parmi les meilleurs membres qui sont les dignitaires s'occupe de l'application du règlement, de l'ordre des réunions, de l'inscription et de l'admission des nouveaux, des placements et des différents détails de police intérieure.
Ce Conseil se compose d'un Président, un Vice-Président, un Trésorier, un Secrétaire et d'un nombre de dignitaires variant suivant l'importance des services.
Le Président a la surveillance générale du Cercle ; il organise les services, désigne les dignitaires chargés de ces services et veille à leur exécution. Le Vice-Président remplace le Président en cas d'absence.
Le Secrétaire est chargé de la rédaction des procès-verbaux, de la correspondance, de l'inscription des nouveaux et se tient à la disposition des membres du Cercle pour les renseigner sur le règlement.
Le Trésorier est chargé de l'administration de la caisse d'aide mutuelle, de la caisse d'épargne et des collectes qui peuvent être nécessitées par les promenades ou autres distractions.
Les dignitaires se tiennent à la disposition du Président pour le fonctionnement des services. Ils sont désignés à tour de rôle en réunion du Conseil.
Tout dignitaire qui ne remplirait pas ses fonctions sans en avertir le Président pourra être révoqué et remis Sociétaire.
Pour être nommé Dignitaire, il faut avoir au moins 6 mois de présence au Cercle comme membre Sociétaire.
Les dignitaires sont porteurs d'un insigne spécial. Ils sont tenus de le porter à toutes les réunions ou cérémonies du Cercle.
Le Conseil se réunit tous les huit jours.
Ce texte, dont le simple examen suffit à montrer le rôle prépondérant des dignités, est suivi de la liste des avantages matériels. Ils ne sont en quelque sorte que l'extension de ceux que nous avons déjà signalés dans les patronages. Le billard, les cartes remplacent le tonneau et le loto. La bibliothèque comprend un plus grand nombre de volumes, etc., etc. Il y a en plus une buvette. Mais que les membres de la Société contre l'alcoolisme se rassurent. Le règlement porte qu' « on doit en faire un usage modéré ».
Une fois par semaine, les ouvriers se réunissent pour étudier les questions qui les intéressent : vie domestique, vie sociale, conditions du travail. La discussion est libre. Parmi les sujets les plus récemment traités, nous relevons : Le chômage ; ses causes, ses remèdes. — Le salaire. — Le travail de la femme. — Les habitations ouvrières. — Les coopératives. — Les assurances ouvrières. Plusieurs de ces questions ont eu pour rapporteurs des catholiques de marque.
Nous relevons parmi eux les noms de MM. Thomas, L. Brunhes, l'abbé Lemire, l'abbé Naudet.
Les mères de famille ne sont pas oubliées. Un ouvroir leur distribue des travaux de couture, qu'elles peuvent exécuter dans leur intérieur, sans délaisser pour cela les soins du ménage. Un millier de personnes profitent de cette organisation. -Elles peuvent aussi, pour leurs approvisionnements s'adresser à une Société coopérative de consommation.
Il existe deux coopératives. On ne peut contester leur importance. Si les œuvres d'assistance pure et de préservation rendent des services, quels bienfaits n'est-on pas en droit d'attendre d'œuvres qui, bâties sur un champ plus vaste, s'adressent aux membres actifs du peuple, et s'efforcent, par mille moyens, d'améliorer la situation matérielle des familles ouvrières. Par la force même des choses, les directeurs de Plaisance, qui savent avec un art infini diversifier leurs moyens d'action, ont été amenés â couronner leurs œuvres, par deux coopératives, l'une de consommation, l'autre de production.
« Il faut prendre garde
(7) — dit à ce sujet l'abbé E. Boyreau — si nous ne voulons pas que, dans dix ans le peuple de France ne se trouve en face d'un syndicat de capitalistes qui aura monopolisé tout le commerce et toute l'industrie, et qui pourra imposer ses lois aux travailleurs comme aux consommateurs. Le bénéfice de l'activité de la masse du peuple passera dans quelques mains, qui essaieront de se faire pardonner leur richesse excessive en créant des institutions charitables, insuffisantes pour recueillir les victimes d'un régime économique où il n'y aura plus d'intermédiaire entre la richesse colossale et la pauvreté... Déjà cette monopolisation de certaines industries est un fait accompli. Nous assistons actuellement à la ruine du petit commerce par les grands magasins. D'innombrables employés remplacent la foule des petits commerçants. Je n'ai pas besoin de développer- ici quels sont les inconvénients sociaux d'un tel état de choses. Je me contente de faire remarquer que ce capitalisme à outrance est le plus court chemin pour assurer le succès du collectivisme. Le jour où toute l'industrie et le commerce seront entre quelques mains la transformation de ce monopole de fait un en monopole de droit; se fera sans difficulté et peut-être d'une façon aussi légale qu'expéditive. Comment prévenir de telles conséquences? Il n'y a qu'un moyen, c'est l'association. Si les petites bourses ne veulent pas devenir les tributaires des gros banquiers, qu'elles s'associent entre elles, qu'elles fassent elles-mêmes leurs affaires. Le meilleur moyen pour cela est d'adhérer à une coopérative, qui leur permettra d'acheter les denrées alimentaires et tous les objets usuels dans les meilleures conditions de qualité, de quantité et de bon marché. Les ménages ouvriers n'ont pas d'avance. lls sont contraints d'acheter au détail. Le détaillant est un intermédiaire' de plus qui doit vivre, lui et sa famille, sur le prix de l'objet qu'il vend à la ménagère. Que ces ménages se réunissent à plusieurs, et ils pourront acheter directement leurs produits là où se les procurent les grands magasins et le petit commerce.
Pourquoi l'ouvrier serait-il tenu de payer ses objets de consommation plus cher que les riches, et d'avoir moins de choix ? »
L'Ouvrière, société coopérative de consommation, anonyme, à capital variable, remédie à ces inconvénients. Sagement réglementée par des statuts, — que le manque (le place nous empêche de reproduire, mais qui sont intéressants à consulter, — elle assure aux consommateurs, outre une sécurité complète sur le poids et la qualité des marchandises, de forts intérêts pour le capital versé, et de respectables dividendes au prorata des achats.
Cela ne suffit point. Certains patrons abusent des forces de l'ouvrier et de son impuissance à se défendre. Ils diminuent de plus en plus le salaire, augmentent les heures de travail, n'accordent ni repos, ni retraites et renvoient l'ouvrier, s'il ose réclamer justice. Pour parer à ces abus, des hommes se réunissent, fondent un atelier en commun, nomment l'un d'entre eux comme directeur, cherchent du travail et se répartissent le produit de ce travail. Une œuvre nouvelle est fondée : l'Ouvrière en construction, société coopérative de production à capital et personnel variables. Lorsqu'ils se sont groupés, les coopérateurs se connaissaient depuis de longues années. Ils s'étaient vus à l'œuvre. Ils ont pu, en connaissance de cause, nommer leur directeur, leur contremaître, leurs chefs d'équipes. C'est là un gage de succès, le manque de direction étant l'écueil où viennent échouer, hélas ! beaucoup d'associations ouvrières. L' « Ouvrière en construction » comprend actuellement trente membres, dont cinq apprentis. La chambre consultative, dans sa réunion du 2.5 mai dernier, l'a admise au nombre des Associations ouvrières de production.
Signalons, en passant, que les coopératives s'administrent elles-mêmes. Un prêtre assiste aux séances du conseil. Mais il n'intervient que lorsque les avis sont partagés, ou qu'il faut trancher des points dé droit sur lesquels les ouvriers peuvent n'être point fixés. Les questions techniques, commerciales ou industrielles, sont traitées par les coopérateurs.
Le premier souci des ouvriers coopérateurs a été d'assurer les bonnes conditions de l'apprentissage.
« Il est une question sociale de la plus haute importance, écrit M. Emmanuel Boyreau
(8) dont nos législateurs devraient bien se préoccuper : c'est celle de l'apprentissage. L'État, sur ce point comme sur tant (l'autres, semble oublier son devoir de protection des faibles. Là, comme dans beaucoup d'autres questions graves, il parait désarmé devant la désorganisation du inonde du travail, dont les mauvaises conditions de l'apprentissage sont à la fois une conséquence et une cause.
Il ne sait promouvoir aucune institution vraiment utile, ni donner l'impulsion, et la direction aux initiatives privées. Et pourtant le mal est immense !
Dans notre quartier, nous sommes constamment en présence de profondes misères morales et matérielles, et l'on a, la plupart du temps, le cœur serré par l'impuissance où l'on se trouve d'y remédier. Néanmoins, je ne connais pas de tristesse plus amère que lorsque je vois un pauvre enfant sur le point d'entrer en apprentissage. C'est que sur dix ateliers, à peine en trouve-t-on un seul qui offre quelque sécurité.
Il y a d'abord les métiers où l'on travaille le dimanche. Le pauvre petit qui n'a plus son jour de repos par semaine, qui n'a plus les joies de la vie de famille, qui n'a désormais aucun rapport avec Dieu, se dégrade rapidement et devient facilement la proie des passions brutales. Au bout d'un an l'enfant n'est plus reconnaissable.
Au point de vue moral la surveillance, dans le plus grand nombre d'ateliers fait absolument défaut. Les patrons catholiques eux-mêmes ne s'en préoccupent pas suffisamment. Souvent le petit apprenti deviendra la victime de ses camarades, très souvent des ouvriers eux-mêmes. Je ne peux pas raconter ici les faits répugnants, les dangers de toutes sortes auxquels les malheureux enfants sont exposés sans défense.
Le danger moral n'est pas le seul. Des patrons peu délicats, malheureusement trop nombreux, ne s'occupent pas de la formation professionnelle des enfants. Ils les utilisent souvent à faire des courses presque tout le jour, ou, s'ils les gardent à l'atelier, ils les spécialisent dans certains travaux faciles, en sorte que l'apprentissage fini, la famille, qui pendant trois ou quatre ans a fait des sacrifices pour donner un métier à son enfant, s'aperçoit avec désespoir qu'il est incapable de gagner sa vie. L'enfant devenu jeune homme ne peut trouver de place, et, après un long temps d'apprentissage, est réduit à se faire manoeuvre. »
Les Écoles professionnelles fondées par l'État n'ont pas remédié à tous ces maux. La morale n'y est guère plus respectée qu'à l'atelier et l'enseignement donné à l'enfant est souvent trop théorique. La coopérative de serrurerie a compris tous ces besoins. Soucieuse de l'honneur de la profession et de la protection de l'enfant, elle s'occupe avec grand soin de la formation professionnelle de ses apprentis.
Un ouvrier consciencieux est spécialement chargé de leur enseigner progressivement, avec une méthode précise et claire tout ce qu'ils ont besoin de savoir.
Des cours de dessin ont lieu plusieurs fois par semaine, dans le jour, et les apprentis sont tenus d'y assister. Un des aumôniers de l'œuvre s'occupe spécialement de leur instruction religieuse et civique.
Cette école professionnelle répond à une nécessité pour le relèvement moral et matériel de l'ouvrier.
• •
Telles sont, dans leurs grandes lignes, les œuvres de Notre-Dame du Rosaire.
Nous n'avons point la prétention d'en avoir dressé une monographie définitive
(9) . Aussi bien, des modifications incessantes se produisent. Chaque jour, le champ d'action s'agrandit. Viennent les ressources suffisantes, on créera un hôpital spécialement affecté aux incurables, ces déshérités entre tous. Des caisses de prêt gratuit et de retraite, une caisse contre le chômage viendront s'ajouter aux autres institutions de bienfaisance. Nous nous sommes contentés de tracer une esquisse générale. Nous avons surtout voulu montrer que les œuvres de Notre-Dame du Rosaire forment un faisceau, comme il n'en existe point ailleurs.
Assurer le développement des facultés physiques et morales de l'homme, et dans la mesure du possible, sa prospérité matérielle : c'est l'idée qui les anime. Il semble qu'elles aient été créées pour répondre â la pensée de Léon XIII
(10) : «Il faut, par des mesures promptes, et efficaces, venir en aide aux hommes des classes inférieures, attendu qu'ils sont pour la plupart dans une situation d'infortune et de misère imméritée. »
Basées sur la mutualité, elles proscrivent l'individualisme, ce fléau des sociétés contemporaines. Elles prêchent le voir social. Ce devoir est de s'unir, de s'entr'aider. Bien plus, elles font œuvre de concorde. Les prêtres et les hommes d'œuvres qui, non contents de consacrer leur activité au soulagement des souffrances de leurs semblables, deviennent encore leurs éducateurs et leurs moralisateurs, travaillent par là même à résoudre le problème du rapprochement (les classes. Il ne suffit pas, en effet, que l'ouvrier participe aux biens matériels. Il faut encore combler le fossé qui le sépare des richesses morales et intellectuelles. Ceux qui se, vouent à cette tâche, font œuvre utile.
Voilà à quels résultats peut aboutir l'initiative privée, lorsqu'elle est servie par des hommes de dévouement et de zèle..
Dans un remarquable article
(11) du Correspondant, du 16 septembre 1896, le marquis Costa de Beauregard fait l'éloge du College settlement, « maison peuplée d'hommes ou de femmes, de cœur et d'intelligence, qui se rapprochent des pauvres, non pas comme s'ils venaient d'un monde différent pour les visiter simplement, mais comme s'ils étaient de leur monde, comme s'ils étaient des compatriotes, des voisins, habitant par choix les mêmes quartiers, les mêmes maisons et décidés à frayer avec eux, comme avec des amis »...
C'est assurément une forme ingénieuse de la charité. Mais il n'est point nécessaire de franchir le détroit pour en trouver des exemples. Les œuvres de Notre-Dame du Rosaire, à Plaisance, constituent véritablement un College settlement, dont au surplus l'organisation intérieure mérite de fixer l'attention de tous ceux qui ont la religion de la souffrance humaine,» à quelque confession qu'ils appartiennent.
1
Imp. LEROY 185, rue de Vanves —Paris