On lit souvent dans les documents descriptifs de l’église Notre Dame du Travail ce que disait plus tard son curé l’abbé Soulange-Bodin :
L'église devait donc rappeler à l'ouvrier son usine afin qu'il se sentît chez lui, dans son milieu habituel, entouré des matériaux de fer et de bois que sa main transforme tous les jours…
Mais la maison de Dieu, si elle rappelait l'usine et l'atelier où l'ouvrier peinait tout le long de sa vie, devait aussi être une fête pour ses yeux et un réconfort pour ses membres "
Il se trouve que l’enthousiasme de l’abbé Soulange-Bodin et des admirateurs de son église provient de la véritable réussite artistique de l’architecture métallique que son architecte, Monsieur Jules Astruc, a réalisée.
La lecture des comptes rendus des réunions du conseil de fabrique montrent que la décision de réaliser cette charpente métallique apparente n’a pas été faite au moment de l’élaboration du projet. L’importance des fortes fondations de l’église montre d’ailleurs que le projet était plus ambitieux et la décision de construire une charpente métallique n’a été prise qu’après l’achèvement des fondations et de la crypte. Dans le compte rendu du 27 septembre 1899 on peut lire :
"Vous avez pu voir MM. dans le Journal de Plaisance qu’une personne généreuse avait fait à M. le curé un don de 100 000 francs pour la future église. Que cette généreuse bienfaitrice reçoive ici nos remerciements les plus sincères !
Une partie de cette somme, nous dit le curé, a servi à acheter des moellons de très bonne qualité et à un très bas prix pour les futures constructions de l’église. Elle servira aussi à liquider les dépenses faites pour la crypte. Puis il restera probablement 55 à 60 000 frs qui pourront être employés à terminer des murs de soutènement et à édifier une charpente en fer sur tout le terrain Grenier. Car, voyant les difficultés de la réalisation du plan primitif, la longue échéance à laquelle nous mènerait la somme de 750 000 fr prévue par le premier plan, M. le curé a fait étudier par l’architecte un nouveau plan."
La dépense serait de beaucoup inférieure à celle du plan primitif. On utiliserait les charpentes en fer agrémentées de céramiques, ce qui donnerait encore un certain cachet et élégance, le plafond serait plat, mais pourrait si on le voulait à un moment donné, être transformé en voôte.
Cette question est en ce moment très sérieusement à l’étude, elle est soumise à plusieurs entrepreneurs pour le devis, et peut-être aurons-nous de ce côté quelque chance de voir se réaliser plus tôt nos désirs et s’élever une nouvelle église. "
Découverte de l’Eglise Notre Dame du Travail
Bien des visiteurs longeant dans la rue Vercingétorix la façade de l’église ne se doutent pas de la surprise que leur réserve la nef qu’ils vont découvrir passé le porche néo-roman. Excepté quelques inconditionnels de la pierre de taille la plupart des visiteurs, le moment d’étonnement passé admirent l’équilibre des formes, la luminosité du vaisseau, l’acoustique filtrant les bruits de la ville comme une rumeur n’empêchant pas le recueillement.
Devant cette charpente métallique bien marquée par son époque de construction, le passage du XIX ème au XXème siècle, les commentaires des visiteurs, connaisseurs ou non, sont très variés. Les noms d’Eiffel, de Baltard, de Jules Verne même sont évoqués pour le style d’architecture. Les matériaux rappellent les grandes constructions du palais de l’industrie et des pavillons des expositions. Apportons seulement quelques précisions :
L’architecte : Jules Godefroy ASTRUC est né à Avignon le 11 Novembre 1862, d'un père architecte. Il a été l'élève de Victor LALOUX, auteur de la gare de Tours et de la gare d'Orsay, « un fanatique de l'éclectisme, qui savait se servir du fer ». Dans un rapport du 19 mars 1895, il décrit succinctement son projet, donne des détails sur l’infrastructure et le plan de l’église sans qu’il soit d’ailleurs question de charpente métallique apparente. Deux lettres de juillet et aoôt 1947 montre qu’il s’intéresse encore aux détails architecturaux de l’église. Il mourut à Laigle le 4 février 1955.
Le plan basilical choisi par le donneur d’ordre l’abbé Soulange-Bodin est classique et ne s’éloigne pas des canons de ce que devait être une église à l’époque. Cependant on y remarque l’influence basque dans les galeries qui encadrent la nef. Soulange-Bodin passait ses vacances au pays basque et de généreux donateurs y résidaient. Ce plan basilical est très ancien ; dans le Massif calcaire en Syrie des vestiges du IV ème et Vème siècles nous le montrent.
Basilique de Qalb Lozé (IVème siècle)
Matériaux
Les matériaux utilisés sont le réemploi d’éléments de charpente provenant des pavillons des expositions universelles précédant celle de 1900. Il est coutumier d’évoquer le pavillon de l’industrie pour la partie métallique mais il ne s’agit pas du '
déménagement ' d’un pavillon.
Quand on regarde les anciennes gravures du palais de l’industrie, on remarque que ni les dimensions ni la forme de la charpente ne correspondent à ce que l’on voit à Notre Dame du Travail. Cependant on peut penser que les poteaux-colonnes ainsi que certains contreventements peuvent être repérés sur les gravures ; des cintres sont visibles au niveau des galeries. Toujours est-il qu’avec les matériaux récupérés, la société Laurent, Moisan, Savey et Cie a réalisé les éléments préfabriqués nécessaires à l’édification de la nef.
Ces éléments sont décrits et listés dans un mémoire faisant office de facture. Les travaux supplémentaires (12 item) concernent les pièces de finition et de fixation aux deux massifs de maçonnerie : la façade et le cœur. Il est aujourd’hui aisé de discerner les éléments préfabriqués les uns des autres. En effet ces éléments ont été préparés et fabriqués par rivetage dans l’atelier situé au 20 Boulevard de Vaugirard à Paris. Le montage sur place dans l’église a été réalisé par des boulons et écrous.
Les autres matériaux associés à la charpente métallique sont d’abord les maçonneries des extrémités, les murs latéraux dans les bas côtés en moellons mais aussi les murs du haut de la nef centrale percés de vitraux encadrés de pans de fer. Le bois est étroitement associé à la charpente métallique dans les galeries latérales et aux chevrons du toit, il sert de décoration dans la corniche longitudinale au dessus de la sablière. Quant au béton, il en est fait mention comme sol des tribunes de l’orgue et des deux tribunes encadrant l’orgue.
Revêtements des éléments métalliques
Contrairement à beaucoup d’églises de l’époque qui utilisaient des armatures en fer recouvertes de divers matériaux pour cacher le fer, la charpente métallique de Notre Dame du Travail est à nu, un scandale pour certains que l’abbé Soulange-Bodin sôt si bien désarmer par ses explications. Il existe cependant un certain nombre d’éléments métalliques partiellement ou totalement invisibles. C’est le cas de la voôte du chœur et de la chapelle St Joseph improprement dite parfois chapelle des morts et de beaucoup de poteaux dans les diverses petites chapelles.
Les éléments de la charpente
Les poteaux métalliques supportant les fermes sont les véritables colonnes de nos églises classiques. L’abbé Soulange-Bodin vantait l’avantage de ces poteaux fins laissant une bonne visibilité vers le chœur contrairement aux lourds piliers en pierres.
Les poteaux sont composés de plusieurs éléments de fers plats (pan) et cornières assemblés par rivets :
- l’âme centrale est une tôle de 47 cm de large sur toute la longueur du poteau,
- sur cette tôle sont fixées 8 cornières :
- Au centre quatre cornières (5x5) maintiennent de champ des pans de 14 cm de part et d’autre du pan central. Ces pans s’interrompent lorsque l’espace entre cornières est utilisé pour la fixation des arceaux.
- A chaque extrémité deux cornières (7x7) fixent un autre pan de 18 cm perpendiculaire au pan central.
Ces poteaux métalliques reposent à la base sur un socle et sont d’une seule volée jusqu’aux fermes du toit. A mi-hauteur ils supportent les fermes des nefs latérales ; au-dessus ils encadrent latéralement les murs hauts de la nef. Les poteaux des galeries sont de même nature, ils montent jusqu’aux fermes de la galerie et des bas-côtés en supportant à mi-hauteur les poutres des tribunes (linçoirs). Dans l’épaisseur des murs latéraux il existe des poteaux en fer supportant des pannes où reposent les poutres du plancher de la galerie. Ces pannes sont en partie recouvertes de plâtre.
Les fermes circulaires
Les 7 fermes de la nef centrale ont 9,500 mètres de portée ; les 14 fermes des nefs latérales ont 5,500 m de portée et en prolongement les 14 fermes des tribunes ont 2,600 m de portée.
Ferme en treillis
La ferme en treillis se constitue de deux arbalétriers, d'un entrait, de montants et de traverses inclinées. Cette ferme est une traverse très rigide.
Les montants sont verticaux, ils reprennent la majeure partie des efforts de compression pour les transmettre aux entraits. Les traverses inclinées sont conçues pour reprendre des efforts en traction.
Arbalétrier
Dans une ferme de charpente, il s'agit d'une pièce inclinée supportant les pannes. (Les deux arbalétriers forment éventuellement un triangle avec l’entrait.
Les pannes arceaux du faîtage
Ces pannes du faîtage sont difficiles à bien voir, elles participent avec les autres pannes à maintenir l’écartement des fermes les unes par rapport aux autres. Elles portent l’extrémité des chevrons en bois. Leur forme en arceaux a plus un but décoratif que mécanique.
Les pannes courantes en I
Ces pannes ont pour but de porter les chevrons en bois qui reçoivent les liteaux ou voliges.
Panne
La panne est une pièce de charpente posée horizontalement sur les fermes. Elle supporte les chevrons.
En fonction de sa position dans la charpente, la panne prend un nom particulier :
- La panne faîtière, située au sommet de la charpente d'un toit à pans.
- La panne sablière, située en bas de pente. Elle peut s'appuyer sur le mur, autrefois garni d'un lit de sable.
- La panne intermédiaire, située entre la panne sablière et la panne faîtière (un versant de toiture peut comporter plusieurs pannes intermédiaires comme à NDT: 2 pannes intermédiaires).
Chevron
Un chevron répartit le poids de la toiture sur les pannes. Il est disposé dans le sens de la pente avec un entraxe (distance d'axe en axe) de 50 à 60 cm maximum, suivant le type de couverture. Les sections classiques sont de 11 x 8 cm, 9 x 6 cm et 5 x 4,5 cm (hauteur x largeur).
Les liteaux sont posés sur les chevrons pour recevoir le ou les matériaux de couverture (Exemple: couverture en ardoises non clouées sur volige mais accrochée par des crochets métalliques ou tuiles. A NDT il s’agit de tuiles à emboitement )
Les contreventements des versants
Ces contreventements maintiennent l’écartement des poteaux dans le sens longitudinal de la nef. Ils sont constitués de treillis en fer. Il y a aussi des contreventements sous les chevrons du toit ; ils travaillent en traction (sauf un qui s’est tordu en compression…) et ne sont pas solidaires des chevrons.
Contreventement
En génie civil, un contreventement est un système statique destiné à assurer la stabilité globale d'un ouvrage vis-à-vis des éventuelles actions horizontales sur celui-ci (par exemple : vent, séisme, choc, freinage, etc.).
Afin d'assurer la stabilité globale d'un bâtiment, il est nécessaire que celui-ci soit contreventé selon 3 plans non colinéaires, dont un plan horizontal.
On distingue donc les contreventements verticaux des contreventements horizontaux, selon le plan dans lequel ils sont disposés.
Un contreventement peut être réalisé par des voiles (contreventements verticaux) ou des plaques (contreventements horizontaux) en béton armé, en maçonnerie ou en bois ; ou par des treillis en bois ou en acier.
Treillis
Un treillis, ou système triangulé, est un assemblage de barres verticales, horizontales et diagonales formant des triangles, de sorte que la déformabilité est réduite lorsqu'il est soumis à un effort.
Les pannes sablières de retombée
Les pannes sablières se situent en bas des murs hauts de la nef principale. Elles supportent ces murs de briques qui sont percés de baies vitrées. Elles sont placées entre les poteaux dont elles assurent aussi l’écartement comme les contrevents et les arceaux.
Sablière
En charpente métallique, la sablière est une poutre qui relie les têtes des poteaux d'une même file (parallèle au long pan) entre elles. Cette poutre, en bas de pente, sert à transmettre les efforts de pression du vent (par l'intermédiaire d'une poutre au vent, ou des efforts du vent directement appliqué sur la façade) jusqu'aux palées de stabilité (croix de St André ou portique de stabilité). Cette poutre travaille uniquement en compression. A NDT il y a des sablières en bas du toit au sommet du mur. On donne aussi ce nom aux poutres métalliques qui supportent le bas du mur.
Les arceaux de la nef centrale
Ces arceaux, placés entre chaque poteau d’un même coté, prennent place sous les contreventements des versants.
Les pans de fer des baies de la grande nef
Les murs de la grande nef sont percés de vitraux maintenus en place dans la maçonnerie par des pans de fer. Entre chaque poteau quatre pans de fer encadrant trois vitraux montent de la sablière jusqu’aux pannes sablières de retombé du toit. Ces pans consolident le mur qui à cet endroit ne fait que l’épaisseur d’une brique !
Dans l’art gothique, ces murs hauts de la nef principale s’appellent les murs "goutterots", parce qu’ils reçoivent la gouttière du toit.
Les pans latéraux sont des Upn fixés par rivets aux poteaux ; les pans intermédiaires son des Ipn.
La grande corniche en bois
Ils sont placés entre les poteaux des nefs latérales. Ils supportent chacun un pan du toit de ces nefs.
Les arceaux des tribunes
Ces arceaux ont une forme particulière : ils consistent non en treillis mais en des voiles de tôle maintenues par des cornières cintrées à chaud et non soudées.
Linçoir
Pièce d’un plancher fixée parallèlement au mur, pour recevoir les solives du plancher qui correspondent à des ouvertures, portes ou fenêtres (Le Grand Robert 6 pg8)
A NDT ce sont des poutres en Ipn situées au fond en haut des petites chapelles elles sont en partie camouflées par du plâtre ; elles supportent les poutres en bois qui soutiennent le plancher des galeries. C'est un des rares endroits où la charpente métallique est camouflée.
Mariage de la charpente métallique et des parties maçonnées
La charpente métallique de NDT s'insère entre des parties plus traditionnelles de construction. Les fondations et la crypte ont été conçues et construites en vue d'une réalisation plus traditionnelle de la nef qui aurait pu être en pierres. Sur ces fondations sont réalisées deux parties massives en pierres : d'une part le narthex comprenant le porche d'entrée, la tribune de l’orgue et les escaliers d'accès aux tribunes et aux galeries, d'autre part le chœur et les deux chapelles encadrant le chœur proprement dit. Entre ces deux constructions les murs latéraux montent jusqu'au dessus des tribunes. La charpente métallique est "ancrée" et appuyée sur ces parties solides et lourdes. A l'inverse, cette charpente assure l'ossature et la stabilité des parties hautes des murs de la nef. Les colonnes qui montent jusqu'aux fermes de la nef en gardant le même profil bordent des portions de murs peu épais.
On peut constater que les colonnes à ce niveau sont visibles pour partie à l'intérieur de l'église et partie à l'extérieur ce qui donne une idée de la minceur des murs. Ces murs, supportés par les sablières métalliques, sont consolidés par des pannes verticales métalliques. A leur partie supérieure, ils sont maintenus par la panne sablière de la toiture. Ainsi ces portions de murs qui, par ailleurs, sont percées de baies vitrées, sont bien encadrées et consolidées par de la charpente métallique.
L'ancrage de la charpente sur les parties maçonnées est à peine visible mais en s'approchant des massifs on constate la présence de tenons boulonnés aux colonnes d'extrémité. Dans les chapelles latérales, les colonnes des bas côté laissent voir à 2,50 m environ des groupes de trois écrous sur boulons en remplacement des rivets. L'examen de la facture permet d'en connaitre les caractéristiques: ce sont des ancres de bonnes tailles.
A l’extérieur de l’église sur les murs latéraux on peut voir les ancrages des charpentes des chapelles latérales.
Enfin, comme cela existait souvent dans les églises construites au XIXº siècle le mélange de maçonnerie et de métal s'observe dans les chapelles latérales où une partie de la charpente métallique est enduite de plâtre. Quelques IPN ne sont visibles que d'un coté, l'autre étant noyé dans la maçonnerie.
L’analyse de la facture montre aussi que des armatures métalliques ont été utilisées dans la consolidation des parties en maçonnerie classique :
Attachement Nº1 du 27 Avril 1901.
1º mur de refend parallèle à la façade sur rue Vercingétorix après cette façade, au dessus de l’arc en brique de la grande baie du rez-de-chaussée entre les deux bouts d’attente.
1 cours de chaine en fer plat de 50 x 9 x 17,050 mètres entre talons
8 bagues et 8 coins
Ainsi, charpente métallique et maçonnerie sont bien solidaires à NDT. Le dernier paragraphe de la facture montre que le retard de la construction du pignon du chœur entraîna le report des travaux d'ancrage à ce niveau.
Les derniers travaux de la charpente métallique
Le chantier du montage de la charpente de NDT n’a duré que quelques mois. Le marché date du 30 mars 1901 et le mémoire faisant lieu de facture est du 31 octobre 1901. Les travaux avaient été terminés en grande partie le 27 septembre 1901, mais le mur du fond au dessus du chœur n’était pas terminé à cette date et la pose des dernières pannes a été terminée le 19 octobre 1901.