REVUE DE L'HABITAT FRANÇAIS - 20 MARS 1996
Marc Gaillard

Paris insolite
De Notre-Dame du Travail
à Notre-Dame des Briques
     Deux églises, construites au début du siècle, ont fait appel à des techniques considérées alors comme novatrices. Elles restent aujourd'hui les témoignages d'une époque inventive.
    

Notre-Dame du Travail : du fer et du moellon

     Cette église se trouve aujourd'hui au centre d'un quartier, à Montparnasse, totalement reconstruit, dont les ensembles immobiliers les plus connus, place de Catalogne, place de Séoul, place du Théâtre, ont été conçus par les architectes Ricardo Boffil et Patrice Novarina.
     Elle fut réalisée par l'architecte Jules Astruc (1862-1935), élève de Victor Laloux, à qui l'on doit notamment la gare d'Orsay et la gare de Tours. La construction eut lieu entre 1899 et 1909. L'édifice souleva bien des controverses et provoqua l'étonnement en raison des moyens techniques adoptés...
     Le quartier Plaisance, comme le Petit Montrouge où l'architecte Vaudremer avait élevé, en 1870, l'église Saint-Pierre, au croisement de l'avenue du Maine et de l'avenue d'Orléans (Général Leclerc), s'était beaucoup urbanisé après son intégration à Paris en 1860.
     Divers projets furent avancés puis remis en cause en raison du siège de 1870 et de la Commune. Un oratoire aménagé dans un hangar permettait de célébrer les offices. A la fin du siècle, le curé de Plaisance, l'abbé Soulange-Bodin, parvint à recueillir suffisamment de dons pour entreprendre la construction d'une église : toutefois le chantier ne devait pas être trop dispendieux en raison des faibles ressources des paroissiens.
     C'est pourquoi l'architecte choisit la charpente métallique pour édifier la nef et le choeur. La sobriété, l'apparence de ce matériau industriel étaient symboliques pour l'église d'un quartier alors composé d'habitants modestes : ouvriers, petits employés, artisans, artistes. Dès l'origine, elle prit le nom de Notre-Dame du Travail. Elle fut longtemps considérée comme un édifice mineur, une expérience architecturale un peu marginale.
     Dans les années 1970-1980, on lui accorda plus d'attention, en raison précisément de l'originalité de sa conception et de sa construction, ce qui lui valut une inscription à l'Inventaire des Monuments Historiques. Notre-Dame du Travail est un édifice à trois nefs de plan traditionnel. La façade, le chevet et les murs périphériques sont en maçonnerie. L'innovation architecturale et constructive s'exprime à l'intérieur. Une série de grands portiques de fer, boulonnés et rivetés, définissent l'espace entre la nef centrale et les collatéraux. Une charpente métallique, faite d'arcs surbaissés, constitue les voûtes portées par des colonnes et des portiques d'une vingtaine de mètres d'élévation. Les nefs latérales et le choeur sont aussi couverts de voûtes métalliques. Les tribunes sont portées par des arcs en anse de panier qui définissent l'espace de petites chapelles décorées d'élégants motifs floraux, récemment ravivés.
     Les fenêtres hautes sont ornées de verres de couleur aux tonalités alternativement chaudes et froides ; elles sont accompagnées de légers motifs floraux que l'on retrouve au-dessus des arcs qui marquent la limite entre la nef et le chœur.
     Au-dessus de l'entrée, un important arc en plein cintre définit la tribune de l'orgue qui a été récemment restauré. Il se caractérise par la sobre élégance de son buffet, rigueur compensée toutefois par des éléments décoratifs d'une rare virtuosité, qui témoignent de l'esprit « Art Nouveau », et des références fréquentes de celui-ci au monde du végétal.
     Une verrière de couleur, également pourvue de motifs floraux, éclaire la chapelle du choeur en cul-de-four. Des arcs métalliques forment, au-dessus de l'Autel, une voûte sexpartite dont les branches prennent appui sur un anneau circulaire évidé.
     Les charpentes métalliques de la nef, leurs multiples arcs, en segment de cercle ou en plein cintre, leurs arbalétriers et leurs croix de Saint-André constitués de simples profilés métalliques retiennent tout particulièrement l'attention et montrent qu'un matériau aussi banal que le fer peut constituer, lorsqu'il est habilement employé, la composante d'un chef-d'oeuvre.
     A dire vrai on s'en doutait quelque peu depuis la construction de la tour Eiffel, des grands viaducs ferroviaires du XIX' siècle ou des ponts de la même époque... L'audace consistait à utiliser ces mêmes matériaux et ces mêmes techniques dans un édifice sacré. Toutefois, afin sans doute de ne pas heurter les habitants du quartier Plaisance dans leurs références culturelles, et par conséquent leur sensibilité, cette innovation n'est pas visible de l'extérieur.
     Victor Laloux, le maître de l'architecte Astruc à l'Ecole des Beaux-Arts, n'avait pas davantage osé l'affirmation extérieure du parti architectural et technique lorsqu'il édifiait cinq ans plus tôt la gare d'Orsay, où il dissimula l'immense charpente derrière des caissons décorés de motifs floraux et des façades en pierre.
     Notre-Dame du Travail ayant été terminée peu après l'Exposition Universelle de 1900, les façades furent construites avec des pierres de taille et des moellons récupérés dans divers palais éphémères du Champ-de-Mars.
     A l'extérieur l'édifice s'inspire du style roman. Les soubassements sont en meulière, les façades en pierre de taille. Les parties hautes latérales sont en briques. La façade principale sur la rue Vercingétorix (nouveau square qui honore la mémoire du Cardinal Wyszynski) est percée d'un portail à triple redan, les ébrasements sont ornés de colonnettes.
     Une mosaïque néo-byzantine de Du- four-Chaptal décore le tympan. Une cloche, prise à Sébastopol en 1854, avait été offerte par Napoléon III à la paroisse de Plaisance en 1861 : on peut toujours la voir sur le côté droit.
    

Notre-Dame des Briques : du grès et du béton

     Réalisée simultanément à Notre-Dame du Travail, entre 1894 et 1904, cette église surprend aussi par son architecture. Elle fut en effet le premier édifice religieux construit en béton armé dans la capitale, dix ans avant le Théâtre des Champs-Elysées.
     L'architecte Anatole de Baudot, disciple de Viollet-Leduc, utilisa le béton avec une audace étonnante et une rare virtuosité technique.
     L'extérieur n'exprime pas cette haute technicité. L'édifice, entièrement revêtu de briques ocres, présente une double image. Dès l'époque de sa construction, les Parisiens ne manquèrent pas d'attribuer à Saint-Jean l'Evangéliste un nom plus familier : « Notre-Dame des Briques » tant il est vrai que ce matériau enveloppe, de toutes parts, le monument. La haute façade, dont la modénature verticale indique le plan intérieur, est ornée d'un revêtement en grès flammé, du céramiste André Bigot. Trois figures,
     Saint-Jean l'Evangéliste entouré de deux anges, ornent cette façade : ces sculptures en céramique sont l'œuvre de Pierre Roche, un élève de Rodin et de Dalou.
     L'édification de Saint-Jean l'Evangéliste fut décidée à une époque où la Basilique du Sacré-Cœur était encore loin d'être terminée et où la vieille église Saint-Pierre menaçait ruine (elle a été depuis restaurée). C'est également à l'initiative d'un prêtre, alors curé de Saint-Pierre, l'abbé Sobeaux, que l'on doit cette construction. L'abbé avait acheté le terrain, espérant une aide de l'Etat qui fit défaut...
     Il était donc absolument nécessaire, comme à Notre-Dame du Travail, de trouver une solution économique : le béton armé et la brique permirent d'y parvenir. L'ingénieur Cottancin, qui s'était fait remarquer à l'occasion des Expositions Universelles, conçut une structure légère très habile et tout à fait révolutionnaire : sur une sorte de « tissage » en fer constituant une trame et une chaîne, les briques viennent prendre appui et le béton remplir les vides. Dans les nefs, d'esprit néogothique, s'entremêlent les piliers et les arcs croisés : les tribunes latérales sont elles-mêmes portées par des arcs en béton. L'abbé Sobeaux fut poursuivi par l'Administration pour infraction au permis de construire... lorsque la Commission d'enquête découvrit que les 26 piliers de 25 mètres de haut étaient montés en briques enfilées sur la structure métallique et ses ramifications arborescentes... L'ordonnance de démolition ne fut cependant pas exécutée, le chantier se termina entre 1902 et 1904, après clôture du procès.
     Le terrain d'assiette de l'édifice n'était pas très important, 20 mètres par 44, mais en très forte pente du côté du chevet, vers Paris. La différence de niveau — 10 mètres — par rapport au parvis, permis d'installer une crypte. L'église comprend une nef de cinq travées précédées d'un vestibule avec deux bas-côtés assez étroits, et un chœur rectangulaire. Sur la place des Abbesses, la cloche-porte ne manque pas de monumentalité avec son important avant-corps flanqué de tours octogonales, et d'ailes à mi-hauteur, couronnées de balustrades en béton moulé. A la partie supérieure le couronnement est constitué par un savant entrelacs d'arceaux et de balustrades en béton armé formant un fronton trilobé décoré de céramiques polychromes. Il contient le carillon.
     Le porche s'inscrit dans une élégante et haute archivolte en retrait par rapport aux tourelles latérales.
     Les deux vantaux de la porte furent sculptés de motifs géométriques par Le chœur, le tympan est orné également de motifs géométriques et d'un haut-relief en bronze sculpté par Pierre Roche.
     A l'intérieur la décoration fut réalisée par Alexandre Bigot en pastilles de grès flammé, incorporées au béton, et soulignant les virtuosités géométriques des galeries périphériques et des arcs.
     L'église possède de beaux vitraux de part et d'autre de l'orgue, à travers lesquels la lumière rentre à flots, ils ont pour thème « La Crucifixion », « Les Cavaliers de l'Apocalypse ». Sur la paroi du chœur sont placées deux grandes compositions peintes de Planzeau : « La Multiplication des Pains et « La Résurrection de Lazare ».
     Saint-Jean l'Evangéliste mérite toujours son nom familier de « Notre-Dame des Briques », notamment depuis qu'une récente restauration en avive les gammes très nuancées où dominent les ocres et les rouges.
     Marc Gaillard
     REVUE DE L'HABITAT FRANÇAIS - 20 MARS 1996 127

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mise a jour le 12/11/2007